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freeterritories

rêverie dogon

Publié le 10 Janvier 2009 par JFDM

PAYS DOGON, MAGIE DU MONDE

( SI LOIN DES BOUFFONS DE FRANCE 2 TELE PLOUC )

 

HELSINKI-DOUNDIOUKOU

 

Ils avaient marché longtemps.

Le nombre des insectes avait augmenté en proportion de la chaleur et chaque nuit, malgré l’usage des moustiquaires et quelquefois un vent léger, se transformait peu à peu en enfer vrombissant et virevoltant.

Cette fois-ci, ils atteignaient le but. Exténués, mais satisfaits d’être encore en si bon état.

Le décor avait considérablement évolué depuis ce moment où ils avaient débarqué à Bamako, dans une atmosphère surchauffée, aussitôt assaillis par une horde dépenaillée pour les services les plus divers, mais sauvés de l’étouffement par l’ami qui les attendait.

Quelques jours dans la capitale, le temps de se souvenir que l’Afrique sahélienne ce n’est pas encore la Canebière.

 

                                Regards furtifs – Singes chapardeurs

                                               Allusions – danger – Télem.

 

Des kilomètres à pied à travers des cloaques, parce que fin septembre il pleut encore beaucoup.

Et puis d’échelle en échelle le long de la falaise de Bandiagara, c’est la désescalade vers les origines du monde : d’abord en car, puis en bâchée, du goudron à la piste, puis en camion sur la latérite et enfin à pied.

Sable, mini-brousse, « n’tié – séo – sié ».

Des gargottes au réchaud à gaz, Corned-Beef et riz – sauce tomate.

Quelques oignons frais, de l’huile et des œufs les jours de marché à 10 Km de là.

 

                               Conseil de Village.

                               Tous les conseillers sont là.

                               Mélange bière de mil et Tequila avant les bénédictions aux Toubabou.

                               Le guide est en sueur, mais il arrive à traduire.

Je me souviens d’Ela.

                Petite créature si tendre et si attachante.

                Petite femme avec un énorme cœur, prête à suivre en enfer celui en qui elle a confiance.

                Au nom d’un mot magique : « N’Habek ».

                Elle voulait que je lui ramène un bébé singe. Pour le promener dans la rue, en laisse, et avoir un petit compagnon pour faire les courses.

                Mais les babouins, ici, on les met en fuite pour qu’ils ne dévastent pas les cultures, surtout le mil et le sorgho – Ou bien les haricots.

Ces saloperies affectionnent particulièrement les baobabs – mais je ramènerai autre chose à Ela.

Le sable, énormes dunes Sahéliennes, sorte d’éponge qui amène la vie – l’eau – dans les villages du pied de la falaise.

La falaise, magique, énorme, son ombre écrasante sous la pleine lune, avec le concert de tous les oiseaux du secteur – Sans oublier les criquets qui massacrent les cultures éparses.

Kiska a l’habitude de l’étrangeté des situations, et aussi d’être un étranger.

Un nomade – Comme les « hommes bleus » qui se fond canarder dans les 6ème et 7ème Régions.

Mais maintenant, l’étranger, c’est Kiska pour lui-même – il ne se reconnaît que par bribes – il est devenu son propre étranger.

C’est la nuit. Au bord de la falaise résonnent les rires des femmes regroupées sous la lune. Un vieillard, pipe vissée au bec, regarde intensément mon stylo courir sur le papier. Un gamin est là aussi. Quand je lui demande s’il veut ma photo, il me répond : « Ekele ». Autant pour moi.

A Doundiourou, l’eau est dans les calebasses. On la recouvre pour la protéger. On la boit avec parcimonie. Tous les matins, une grosse calebasse est là, pour se laver. Mais pas plus. L’idéal, c’est une coloquinte qu’on transporte en permanence avec soi. Pour le reste, il y a les « Kanari » qui gardent l’au fraîche.

Il paraît que les pygmées étaient là il y a 700 ans. Ibrahim, notre guide-interprète, agréable pochard, ne veut pas en démordre. Comme les Dogon il est fier et irascible, rétif et désordonné.

L’hivernage est arrivé – Ce soir, le Chef Suprême a demandé à ce que soient sortis les masques pour une danse cérémonielle (le maçon du village vient de crever d’une gangrène non soignée).

Et puis la poussière, les odeurs, les mouches et les moustiques. Les nuits au sol. Moustiquaire : grand luxe. La tête sur un rocher, toujours à l’ombre pendant la journée, pagnes et torpeur. Les femmes, seins nus toujours prêts à être pompés par le chiard collé sur le dos. Nuées de gamins qui piaillent.

Et toujours, le contact avec eux. Les doigts, les mains, les frôlements, les gestes, les attouchements, l’ampleur des mouvements. Les yeux et les dents qui brillent la nuit dans un brouhaha de chuchotements.

Kiska se dit que, comme eux, il devrait avoir mal à la tête dès qu’il pense trop. Ce serait une bonne régulation et ça éviterait pas mal de complications.

Et les salutations qui durent une plombe, et le poulet égorgé pour fêter l’arrivée, offert par le chef du village, et le marigot qui court à un kilomètre pour un bain entre deux suées : c’est tout çà. Pas facile, difficilement accessible, très peu confortable, degré zéro de la société de consommation, les vraies attitudes à trouver pour assurer sa place au milieu des Dogons : c’est bien çà.  Isso Africa.

Hô – Lune.

Le temps s’est arrêté : depuis trois nuits, la lune reste pleine sans dégrossir.

Et depuis trois jours, les jeunes femmes dansent devant les tambours sur lesquels frappent les hommes. Deux par deux, elles s’avancent pour se retirer aussitôt, la tête haute. Happé par le rythme lancinant du tam-tam qu’on m’a laissé prendre en main, je me fonds dans les éclats de leurs yeux.

Hô. Au bord du monde, collés au mur, la brousse en face, la lune énorme avec les Monts Taurus et les Mers Séléniques. Et là-haut, à flanc de la falaise, le vieux sircier aveugle qui ne descend jamais.

Une terrasse, après plongeon sous la cascade de Som, avec le vent de la nuit consécutif à l’orage de la veille – Probablement le dernier de l’année avant les longs mois de sécheresse.

Le temps s’est arrêté. Les voyageurs se reposent. Les souvenirs affluent, parfums de terrasse à Lahore, voyage nocturne dans un Europ-Express une nuit d’hiver givrant, corps de femme offrant ses fesses, tous les muscles tendus dans l’attente du plaisir. Tout se mélange, les amitiés, les scénarii par centaines. Les situations, les êtres, les choses, et ici, ce mélange a quelque chose d’un appel à l’infini.

C’est tellement relaxant, la paix totale. L’accord avec le monde. La perception de la vie dans ce qu’elle a de plus magique. A la densité des évènements succèderont une autre densité, d’autres évènements, d’autres approches, d’autres moments de plaisir immense et de connivence totale. Et cette certitude, c’est la garantie de la qualité de l’existence. Que partagera quiconque le désire.

Les lutteurs sont partis en courant pour Yabotal, dès que la lune a été suffisamment haute pour éclairer les rochers. Jusqu’à 4 h, les tam-tams et les voix de femmes dans le village du bas, empliront le monde d’un superbe désir de vivre.

Le lendemain matin, une des jeunes femmes est là pour me donner quelques cacahuètes. Elle attendait, au bord de la terrasse, que je me réveille. Un petit déjeuner qui vaut tous ceux de l’Europe.

Les vieux qui partent dans la brousse. Pour laisser le Nou aux autres. Et disparaissent sans laisser d’autre trace que l’ombre immense de leur dignité inviolée. Un bébé mort d’inanition dans la nuit. Des femmes qui emmènent son corps au petit matin, sans verser une larme, sans un mot inutile.

La plus grande marque de respect de l’Autre.

Les rêves sont encore accrochés sur les parois de la falaise/ La vie continue d’être colorée au milieu des greniers à mil / Cette parenthèse magique et non oubliable entre la brousse et les étoiles / Vraiment de quoi pleurer en quittant ce lieu superbe qui très vite prendra les allures d’un mirage / Mirage d’un monde oublié et d’un peuple fier qui défie le temps / Loin très loin des charmes misérables de la Big Consum Society / Loin très loin de ceux qui en Occident se plaignent pour un oui pour un non, alors qu’ici même au seuil de la mort il y a cette force immense, la certitude des hommes tranquilles avec le chant des femmes pour les accompagner.

Combien de temps encore les rêves seront-ils accrochés sur les parois de cette falaise / Combien de temps encore mes rêves seront-ils à la mesure du temps qui passe /Qui passe et qui un jour me laissera sur la rive des songes oubliés /Alors, alors je retournerai au pays Dogon

Pour un dernier rêve /Pour une dernière force de vivre…

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